Alors que les manifestations contre la réforme des retraites d’Elisabeth Borne se mettent en place, certains se questionnent sur l’utilité de ces grèves. Voici cinq exemples de mouvements contre des projets de loi ayant fait manifester les foules.
En France, les manifestations sont régulières pour contester les propositions de loi.
Après les manifestations du 23 janvier contre la Réforme des retraites, le gouvernement a réaffirmé sa détermination à faire passer cette réforme phare du programme d’Emmanuel Macron. Pourtant, 1,12 millions de manifestants sont descendus dans la rue pour protester contre ce projet de loi. De plus, 54% des Français sont contre cette réforme d’après le dernier sondage Harris Interactive-Toluna pour RTL. Ce mardi 31 janvier une deuxième journée de grève intersyndicale est prévue, et elles risquent de se multiplier. Mais ces grèves ont-elles déjà fait plier le gouvernement ?
1984 - Projet de loi Devaquet
La droite revient au pouvoir en 1986 par l’intermédiaire du Premier Ministre Jacques Chirac. Dès son arrivée, le nouveau gouvernement décide de réformer les études supérieures. C’est ainsi que naît le projet de loi Devaquet, portant le nom de son créateur Alain, alors ministre délégué chargé de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Le projet de loi propose notamment de donner plus de liberté aux universités par rapport aux modalités de recrutement. C’est ce point de la réforme qui va provoquer la colère des syndicats étudiants, qui vont commencer à manifester.
Le mouvement étudiant part de Dijon, où les jeunes commencent à manifester sous l’impulsion de l’UNEF-ID locale. La présidente de l’Association Générale des Étudiants, Sylvie Scherer, appelle alors à étendre le mouvement. Plusieurs écoles se mettent alors en grève jour après jour, et le mouvement s’étend. Le samedi 22 novembre, des étudiants venus de toutes la France se rassemblent à la Sorbonne, et proclament un mot d’ordre de grève générale. Le lendemain, une manifestation “pour l’avenir de la jeunesse et contre la politique scolaire et universitaire du gouvernement” a lieu, elle rassemble au moins 200 000 personnes et lance le début des mouvements.
Le jeudi 27 novembre, une nouvelle mobilisation est portée par environ un million de manifestants. Jacques Chirac ne peut alors plus ignorer ce qu’il se passe et il renvoie dès le lendemain le texte de loi, alors déjà voté par le Sénat, devant la commission des Affaires culturelles. Cela n’a pas fait baisser la motivation des étudiants et le 4 décembre une nouvelle manifestation a eu lieu. Sur la place des Invalides à Paris, la marche tourne mal, et les CRS chargent. Dans la nuit du 5 au 6 décembre, les forces de l’ordre sortent de force les étudiants qui occupent la Sorbonne. C’est lors de cette nuit que Malik Oussekine, un étudiant de 22 ans, périra sous les coups des policiers.
Ce décès aura pour conséquence la démission d’Alain Devaquet et le retrait du Projet de loi Devaquet. Les manifestations ont donc permis un recul du gouvernement.
1995 - Plan Juppé
En novembre 1995, le Plan Juppé sur les retraites et la Sécurité sociale est présenté aux Français. Concernant les retraites, le projet de loi propose un amendement phare : le passage de la durée de cotisation de 37,5 à 40 annuités pour les salariés de la fonction publique. Dès l’annonce de la réforme, l’opinion publique se place en désaccord. En revanche, la CFDT et une partie du Parti Socialiste prennent parti pour la proposition de loi.
Le Plan Juppé prend place dans un contexte tendu pour le gouvernement. En effet, les grèves se multiplient depuis le début de l’année 1995. Jacques Chirac vient d’être réélu, et dès le printemps, c’est les usines Renault qui se soulèvent, protestant contre des augmentations de salaire jugées trop faibles. La fonction publique entre en grève en octobre pour lutter contre les projets de réforme de la Sécurité sociale. Le Plan Juppé marque donc le paroxysme des tensions qui parcourent la population française.
Les manifestations sociales commencent donc le 24 novembre 1995 et les cheminots de la SNCF reconduisent la grève le 25. Ils sont rejoints le 27 novembre par la RATP, puis la Poste et d’autres entreprises publiques. A partir du 28 novembre, la CFDT ne manifeste plus. Mais le mouvement ne faiblit pas et le 12 décembre, après trois semaines de grève continue, le point culminant des manifestations a lieu. Deux millions de personnes descendent dans la rue.
Le 15 décembre, le gouvernement décide de retirer son projet de loi concernant les retraites, mais pas la Sécurité sociale. Ce recul est vu par les syndicats et les manifestants comme une victoire. Les manifestations ont ici aussi permis le recul du gouvernement.
2003 - Loi Fillon sur les retraites
En 2003, François Fillon, alors ministre du Travail et des affaires sociales sous la présidence de Jacques Chirac, présente un projet de loi sur les retraites “qui aligne notamment la situation des fonctionnaires sur celles des salariés du secteur privé”, d’après la plateforme de l’INA, Lumni.
Un premier projet est présenté en février. Il ne convient pas aux syndicats, qui s’y opposent. Le 24 avril, François Fillon affirme que “c’est la seule réforme possible”. Excepté le MEDEF, tous les syndicats se rejoignent pour une manifestation le 13 mai, qui mène 3,5 millions de manifestants selon les syndicats, et 1,2 millions selon les autorités, à sortir dans la rue.
Mais le 15 mai, deux jours plus tard, la CFDT se déclare finalement en faveur de la réforme, ce qui lui causera une perte de milliers d’adhérents. Les grèves se poursuivent ainsi sans l’un des plus gros syndicats, et elles n’ont plus le même impact. La loi Fillon sera finalement mise en place en 2010.
Les grèves n’ont pas eu assez de poids en 2003 pour faire reculer le gouvernement.
2006 - Contrat de première embauche
En 2006, Dominique de Villepin souhaite mettre en place son nouveau projet de loi, le contrat de première embauche. Cette proposition crée un nouveau type de contrat à durée déterminée, réservé aux jeunes, et qui est censé augmenter l’égalité des chances.
Les étudiants se placent tout de suite en opposition avec ce texte de loi, qu’ils estiment créateurs d’emplois précaires. Les manifestations commencent en février, où entre 218 000 et 400 000 personnes manifestent contre le projet de loi. Un mois plus tard, une manifestation rassemble entre 400 000 et 1 millions de personnes dans la rue. Plusieurs universités sont bloquées, et la Sorbonne doit même être évacuée. Le 4 avril marque le point d’orgue des manifestations, avec entre 1 et 3 millions de manifestants. Le 10 avril, alors que la loi est déjà votée par le Sénat, Dominique de Villepin déclare que “les conditions ne sont pas réunies” pour que le CPE puisse être mis en place.
Le gouvernement cède ainsi à la pression des étudiants, qui avaient demandé que la loi soit abrogée avant le 15 avril. Les manifestations ont fait reculer le gouvernement.
2010 - Réforme des retraites d’Eric Woerth
Un constat est fait en 2010 : la population vieillit et il faut réformer les retraites. Pour cela, le gouvernement propose de relever de 60 à 62 ans l’âge légal de départ à la retraite. L’objectif du gouvernement est de réduire les dépenses publiques de santé en retardant de deux années l’âge auquel chacun peut bénéficier de la retraite à taux plein.
Cette idée ne plaît pas du tout aux syndicats, qui contestent tous en chœur cette réforme. Les huit principaux syndicats français s’unissent contre cette proposition de loi et descendent dans la rue. Au total, 14 journées de manifestations ont eu lieu. Il est compliqué de donner une estimation du nombre de manifestants, puisque l’écart entre les chiffres des syndicats et ceux du ministère de l'Intérieur est énorme. Alors que pour la CGT, le nombre de manifestants a souvent dépassé les trois millions, il n’est jamais allé au-dessus de 1,5 million pour l’Etat. De nombreux journaux ont fait leurs propres estimations et parlent d’un juste milieu.
Le gouvernement ne flanche pas et Dominique Paillé, le porte-parole de l’UMP, déclare “ce n’est pas la rue qui gouverne”. Finalement, la loi est votée en 2010, et les mouvements de grévistes s’essoufflent. Les manifestations n’ont donc pas réussi à faire reculer le gouvernement qui est resté ancré dans ses idées.
Aujourd’hui, la réforme des retraites d’Elisabeth Borne enflamme aussi l’opinion publique. Nombreux sont ceux qui descendent dans la rue et les chiffres correspondent à ceux de certaines manifestations ayant fait flancher l’Etat. La bonne mise en place de la nouvelle réforme ne dépendra donc pas forcément de la force des manifestations mais bien de celle du gouvernement. Malgré tout, les différents exemples ci-dessus montrent bien que les mouvements sociaux peuvent faire bouger les choses, et qu’il peut encore être le cas en 2023.
Enzo Trouillet
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